GUADALAJARA, MEXIQUE (15 ans)
« -Va chier putain. T’es qu’une salope. Fou moi la paix.» La porte se claquait avec force alors que l’adolescente se brisait les cordes vocales tellement elle criait avec conviction. Barrement de serrure. Rage intense. Dégout profond. Son enfance n’avait rien de classique. Rien de joyeux. Elle avait tout pour déplaire, tout pour vouloir recommencer et avoir une vie meilleure. Ce n’est pourtant pas le cas. Soupire. La blonde se dirigeait vers son système de son qu’elle allumait pour mettre la musique aussi forte qu’elle le pouvait. Pour emmerder le peuple. Pour emmerder ses parents. Sa mère. Une pauvre femme qui passait son temps à boire à cause de son mari qui la battait et qui couchait avec tout ce qui bougeait, même sa fille. Elle le détestait. Si elle avait pu le tuer, elle l’aurait fait. Elle y avait pensé. Plein de fois. Trop de fois. Elle rêvait d’entendre son souffle lui manquer. Voir ses yeux vriller. Elle cherchait frénétiquement dans ses tiroirs, tirant des avec force pour les faire tomber sur le sol. Ce petit sachet de poudre. Ce petit sachet de drogue qui lui permettait de partir et de se sentir bien. Se sentir ailleurs. Après un petit moment de recherche, elle tombait sur l’objet de ses désirs. Poudre blanche se déversant sur son bureau. Papier roulé entre ses doigts. Elle se penchait par-dessus pour le faire entrer dans son organisme. Sourire. Les deux lignes entraient parfaitement dans son crâne. Défoncé. Elle montait la musique encore plus forte et se mettait à danser. Balançaient ses hanches comme une traînée. Elle planait. Partie dans un monde qui était le sien. Un monde où elle se sentait parfaitement bien. Une voix se faisait entendre à travers la porte. Forte. Grave. Méchante. Frisson. Haine viscérale. Dégout profond. Son père. Il lui sommait de fermer sa musique. Abigail ne voulait pas. Le son se montait. Il faisait vibrer le plancher. Grouiller le sang sous sa peau trop blanche. Craquement. La porte volait en lambeaux. Son père venait de l’éclater. Geste brutal. Son cœur se serrait. Son visage se fermait. Douleur lancinant son visage. Du sang déferlant le long de sa bouche. « -C’est ça espèce de fou, frappe-moi. T’aimes ça quand je cri. Quand je pleure.» Sifflement dit entre ses dents. Elle aurait voulu le tuer. L’étrangler. Il était grand. Trop grand. Fort. Trop fort. Elle se retrouvait contre le mur. Son père collé à son corps trop faible. Son corps rachitique d’adolescente souillée. Il la voulait. Elle le savait. Elle le détestait. Il le savait. Il glissait une main sur sa poitrine avec froideur. Force. Son regard se perdait dans le vide. Elle avait envie de mourir. Maintenant. Là. Plutôt que de se faire prendre par cette ordure. « -C’est ça. Baise-moi. T’es bon que pour ça. Baiser tout ce qui bouge. Un jour je vais te crever espèce de porc.» Bruit de ceinture. Le pantalon tombait sur le sol. Une douleur lui prenait dans le bas ventre. Elle avait mal. Trop mal. Elle était morte. Absente.

TIJUANA, MEXIQUE (16 ans)
Assise contre son lit. Elle attendait. Ses yeux fixés sur la petite valise devant elle. Toutes ses choses étaient là. Partir. C’est ce qu’elle voulait. Quitter cette vie dégoutante. Ne plus jamais revoir son père et faire sa vie. Ne plus devoir sentir son souffle imbibé d’alcool sur sa peau. Des frissons passaient dans son dos juste à cette pensée. Haine intense. Elle aurait voulu l’empoisonner. Lui retirer la vie, mais elle n’en avait pas le courage. Un soupire. Des sons se faisaient encore entendre. Elle attendait. Elle attendait que plus rien ne sa passe. Après un moment, le silence se fit entendre et elle prenait ses choses entre ses mains pour se partir. Aucune idée de ce qu’elle avait faire, mais elle avait une destination en tête. C’est là qu’elle se rendait ce soir. C’est là qu’elle voulait allez. La porte de sa chambre se posait. Ses choses entre ses doigts, elle quittait cet enfer dans lequel elle vivait depuis trop longtemps. Elle abandonnait sa mère aux griffes aiguisées de son père sans aucun ne remord. Elle ne pouvait simplement plus vivre là-dedans. Plus jamais.

TIJUANA, MEXIQUE (17 ans)
La blonde se penchait sur le comptoir de ses loges alors qu’elle venait s’enfiler une énième ligne de poudre en travers du nez. Dépendante. Dépendante de cette drogue qui la faisait se sentir bien. Cette drogue qu’elle traînait avec elle depuis son enfance. Depuis toujours. Elle était encore là. Quelques années plus tard. Dans sa vie. Loin de ses parents. De cette famille de fou. Elle les détestait. Méprisait. Haïssait. Sourire perdu sur ses lèvres. Vêtements dénudant son corps ferme. Son corps mince. Son corps de femme. Un bruit se fait entendre à sa porte. Le guitariste. Il vient lui dire que c’est le moment. Il affiche une moue déçue quand il voit le reste de la drogue sur le comptoir. Il n’aime pas ça. Elle sourit. La chanteuse se lève et se dirige vers lui. « -Ne fais pas cette tête.» Elle avance dans les coulisses. Son cœur manque un battement. La foule crie. Elle les entend perdre patience. Trac. Nervosité. Sentiment qu’elle adore ressentir. Moment d’extase. Elle les entendant clamer son nom. Rire. Défoncée. Défoncée en permanence. Défoncé trop souvent. Défoncée tellement souvent qu’elle ne sait plus ce que c’est de ne pas l’être. Elle est bien. Elle plane. Elle entre sur scène sous les cris et prend son micro pour se mettre à hurler à la foule. Elle dit qu’elle est contente de le voir. Elle bouge. Elle saute. La musique commence. Les cris se calment. Elle ne se calme pas. Elle chante. Sa voix rauque brise la salle. Brise son corps. Ses cordes vocales. Elle chante sa vie. Elle chante sa mort. Elle chante juste parce que ça lui fait du bien. Elle chante parce que c’est jouissif. Elle chante parce que c’est bon. Elle chante parce que c’est sa vie.