▻ Manies et habitudes
elle n'a pas son permis mais ça ne l'a jamais empêchée de conduire, son père le lui apprenait plus ou moins dans ses beaux jours, bien qu'elle ait préféré voyager en train ✤ ses paroles sont pour le moins fournies de mots bien agréables : rares sont ses phrases dénuées de vulgarités en tout genre, jurer c'est un peu sa spécialité et enfin, elle n'a de toute manière pas pour habitude de mâcher ses mots ✤ quand quelque chose la saoule, elle sait très bien le faire comprendre, soit en levant les yeux au ciel, ou dans de profonds soupirs explicites ; très observatrice qu'elle est, elle sait relever les traits les plus marquants de la personnalité d'une personne, soit pour jouer dessus, soit pour les imiter ✤ elle est un brin fétichiste, se jouant aisément des hommes avec lesquels elle passe une nuit ✤ s'il y a bien un truc qu'elle adore jusqu'à en être nostalgique sans l'avouer, c'est le bord de mer, auquel elle est allée à une époque, mais où elle n'est pas restée longtemps ✤ il y a quelques temps, elle a vécu en colocation avec plusieurs personnes, mais il paraît qu'elle a créé trop de tension dans le groupe ; bien entendu, car c'est plutôt de coutume qu'elle soit un genre de peste qui sème le trouble entre les uns et les autres avec un brin d'hypocrisie ✤ il est bien rare qu'elle soit stressée par quelque chose, et généralement c'est dans la drogue ou la nicotine qu'elle se réfugie, l'ironie étant que si elle n'essaye pas de se défaire de la drogue, elle porte parfois des patchs de nicotine pour arrêter de fumer, ce qui la fait elle-même ricaner ✤ niveau humour, elle rit plus facilement aux blagues - même salaces - de certains mecs qu'à celles des filles, de toute manière plus jeune, elle était détestée par les filles à cause de son amitié plus facile avec les garçons, tout simplement parce qu'elle a toujours été un genre de garçon manqué ✤ l'hôpital, c'est bien l'endroit qu'elle fuit le plus sur la planète, probablement parce qu'elle y a passé bien trop de temps dans son enfance, elle déteste les hôpitaux ou toute forme de médication, tant et si bien qu'elle fait de l'auto médication dans les cas extrêmes, et qu'elle a une hygiène très contrôlée, malgré le bordel rythmant sa vie ✤ l'enfant qu'elle était, est bien différente de la jeune femme qu'elle est à l'heure actuelle : petite gamine aux grands yeux bleus et aux cheveux blonds voilà à présent qu'elle est brune, l'air lugubre ✤ le sarcasme reste son arme favorite, de tous les retranchements, elle est extrêmement ironique, elle aime de toute manière avoir le dernier mot ✤ les robes ne font aucunement partie de son style vestimentaire, si ce n'est celles provocantes à souhait qui plaisent à ses clients, mais généralement ses vêtements sont aussi courts et charmeurs que possible ✤ contrairement à ce que les apparences laissent penser, elle est extrêmement sexiste, dans le sens où elle est persuadée - à chaque nouveau client pervers - que les femmes dominent largement les hommes, et elle sait user de ses charmes pour chaque fois plus se le prouver ✤ si son prénom c'est rosario, elle préfère de loin se faire appeler rosa, tant et si bien que ceux qui l'appellent rosario dans ses proches, elle s'acharne à les corriger, toujours aussi tenace ✤ elle ne sait pas nager, personne ne le lui a jamais appris mais ça ne l'a jamais dérangée plus que ça, elle prend toujours des douches, et non pas des bains.

▻ Votre dépendance
Etre la muse de bien des esprits, est-ce vraiment une addiction ? C'est après tout, son seul talent que d'être une sirène aux ondulations de bassin suaves, s'offrant à la vue et aux triques bandées d'hommes gourmands. Le bon plaisir qui la grise tant, c'est celui du sexe, les affres dangereux de désirs insatiables qui l'habitent plus encore à chaque nouvelle journée. C'est un bienfait enivrant que celui de tirer quelque jouissance que ce soit à un corps torturé par le manque et elle ne peut pas s'en lasser. Suave et charmeuse, elle n'est pas l'esclave d'une dépendance, du moins, pas officiellement, mais bien la personnification d'un péché délicieux à bien des hommes, et c'est ainsi qu'elle se plait, à s'emparer de plus d'esprits encore, hanter de nouvelles rêveries sous ses danses endiablées. Et elle reste pourtant guère consciente que ces bons plaisirs commencent bien tôt à ronger son intégrité la plus viscérale.

Prostrée, interdite. Silencieuse petite chose, dont le seul refuge s'avérait être cette chaise d'hôpital devant laquelle bien trop de personnes étaient déjà passées. Invisible, l'enfant n'avait pas encore pris la peine de signaler son poignet douloureux à qui que ce soit. Ni à sa mère, dont les regards ahuris cherchaient une ultime échappée aux responsabilités de ses actes. Ni l'infirmière qui était venue lui parler, ni celle qui lui avait offert un verre d'eau, ou celle qui lui avait proposé quelque chose à manger. Ce n'est que d'un regard dénué d'émotions qu'elle soutint le sourire poli d'une nouvelle infirmière. Les médecins, eux, n'avaient guère le temps de s'attarder sur sa mine blafarde, occupés à d'autres choses. Occupés à essayer de raisonner la mère Saez, qui tentait de s'évader à chaque fois qu'ils la quittaient des yeux. Prise de remords. Pourquoi était-elle venue ici ? C'était sa gamine, qui avait appelé un taxi et l'avait fourrée dedans, tremblante et en larmes... Quelle ingrate gosse, c'étaient ces paroles qui n'avaient cessé de s'échapper des lèvres de la mère, nerveusement, alors que sans le plâtre qui bloquait le bras de la mère, elle le savait, l'enfant se serait déjà prise une raclée pour la trahison qu'elle avait commis contre son père. Celui qui travaillait avec tant d'ardeur à amener quelque argent que ce soit dans le foyer de son enfance. Au prix d'une quelconque stabilité ? Trop jeune, elle était trop jeune, cette enfant amaigrie, pour se rendre compte des affres ténébreux dans lesquels avait plongé son existence. C'était une famille bâclée, une enfance détruite, anéantie. Distraite, soigneuse, légère, une silhouette s'assit à côté de l'enfant, sur l'autre chaise en plastique. Cali sentit le regard de l'infirmière littéralement la brûler, plus encore que sa blessure au poignet la lançait. Ces iris insistants qui la dardaient lui faisaient crisper la gorge, amenant les larmes dans ses yeux de petite fille sans qu'elle ne puisse les contrôler. C'était un surplus, alors qu'elle avait encaissé, encore et encore. Les coups de son père, les cris qui avaient ravagé ses tympans, ceux qui avaient irrité sa gorge. Et les insultes infinies de sa mère, qui avaient bravé ses ultimes défenses, fracturant ce qu'elle était. La fragile chose qui menaçait de s'effondrer. « Ta maman va bien. Vous pourrez rentrer d'ici quelques heures. Tu as été très brave, tu le sais ? » Son père, elle le savait, ne serait pas là ce soir. Ni le lendemain. En prison pour le restant de la nuit, avant que sa fidèle femme ne vienne payer la caution. Et pour le second, à se saouler dans le coin d'un bar. Avant que tout ne recommence, encore et encore. Elle n'était que la chose livrée dans cet engrenage rouillé, l'objet duquel la vie abusait dans tous les sens. « Tu vas bien ? Tu as mal quelque part ? » De longues secondes durant, aucun mot, aucun signe ne trahit la statue de cire qu'elle était devenue, imperturbable. Ou démolie jusqu'à l'agonie. Mais les prunelles de l'infirmière étaient tout aussi implacables que la poigne du paternel Saez, bien que baignées dans la douceur, et Calista se sentit défaillir, tendant son poignet zébré de bleus à la jeune femme, une main tendue, un infime espoir, une trêve, dans l'assassinat progressif de son âme.

Douce caresse obséquieuse qui glissait sur sa cuisse, c'était là son seul délice de la soirée, à peine à même de lui arracher le moindre frisson, l'émoi le plus infime qui soit. Son soupire se perdit, imperceptible au milieu des grincements indélicats, des claquements lascifs de leurs corps. C'était Tijuana, le nouveau de théâtre de son existence, le nouveau cadre de sa décadence. En emportant son simple sac de toile, du haut de ses seize ans, ce n'était certainement pas une existence de ce genre qu'elle avait attendu des circonstances ou de choix qu'elle viendrait à faire. Offerte, cuisses écartées, à l'élan grivois d'un homme qui pensait à ses jouissances avant même de se fourvoyer des frissons d'indélicatesse qui traversaient l'échine de la brune. Elle était loin, désormais, la vulnérable blondinette livrée aux humeurs de son père, souriant avec innocence à ses signes d'amour excessif et lunatique. Il n'y avait plus de tout ça, seuls les touches entêtants tout autant que lubriques de ces hommes qui profitaient de sa chair comme ils auraient tâté leur trique devant un film dégueulasse. L'angélique blonde était devenue une brune incendiaire, ravagée par la rage, anéantie par la colère, ces rancoeurs qui régnaient dans son coeur malgré la distance, les kilomètres, l'imperturbable fin de la personne qu'il était. De son intégrité, aussi misérable soit-elle encore. Entre les doigts gras de son client, elle ne lésina guère sur les efforts, jouissant là où aucune passion ne secouait son corps, crispant ses muscles sous un plaisir feint, qui n'espérait ne voir que l'achèvement de cet échange salace à souhait. Jamais le quotidien qu'elle avait mené, que ce soit dans sa misérable famille ou dans les rues sombres de Tijuana, n'aurait pu la promettre à une quelconque vie un tant soit peu plus colorée. Banale à souhait, faite de barrières blanches, de destin tout tracé. D'avenir indéfectible. Ce n'était qu'un chaos qu'elle avait fuit pour en trouver un autre, en proie aux joyeusetés de la frivolité de son imprudence, et elle y prenait goût. Lentement, mais sûrement, ses sangs se faisant envenimer par la liberté, par ces mêmes désirs insatiables. Encore et encore. Et pour ce soir, sa libération ne fut que bien assez tôt, alors que son client s'allongeait à côté d'elle, souffle coupé, respiration saccadée, air béat plaqué sur le visage. Rien pour la démonter, tout autant que sa nudité, ce plus simple apparat dans laquelle elle se glissa pour aller chercher une clope, le regard lubrique de l'homme dessinant le laiteux de sa peau. « N'oublie pas, c'est deux cents dollars de plus pour les extras. » Elle était une adolescente aux allures désordonnées, piètre créature offerte à une grande ville, à un grand chaos sans queue ni tête. Pathétique. Ou vulnérable. Insidieusement indomptable, gagnée par ce besoin toujours plus insistant d'être libre, d'être détachée de ces entraves qui n'avaient que pourri son être, détruit son enfance, achevé son corps amaigri. Et elle s'en complaisait parfaitement, reine de la déchéance, reine de la nuit, gouvernante de sa destinée. Enfin.