Blablabla blah blablah !

C'est censé être comique, drôle, je ris. Mais en fait c'est juste terriblement douloureux et inimaginable. Souffrance, souffrance, tel un cri, une larme, que personne n'arrive à entendre.

L'argent me brûlait les doigts. L'argent c'est... L'argent. On peut acheter les gens, l'amour, l'affection, la tendresse, les ennemis. On peut même ne rien acheter du tout et se contenter de le garder contre soi, cupide êtres que nous sommes. Mais c'était bien trop excitant de le dépenser à droite et à gauche, nous le savions tous. Pourtant cet argent-là me brûlait comme jamais. Ce n'était ni celui de Maman, ni celui de Papa, non, c'était celui de la grande fille Sophie, qui avait tout fait toute seule. Le corps nu du fonctionnaire reposait calmement, totalement indifférent aux questionnements intérieurs qui m'assaillaient. Il n'était rien, et je n'étais rien non plus. Mais l'argent était bel et bien la preuve que nous nous sommes unis cette nuit, pour la première fois. Prostituée. Pétasse. Non. Ce n'est pas moi. Mon corps est plus luxueux que toutes ces autres filles grosses et mamans à 15 ans. Je viens d'une bonne famille.

Mon sac en main, je me suis éclipsée dans la nuit. Tijuana m'était inconnu, mais tout semblait construit de manière à me familiariser avec les lieux. Je pouvais distinguer les maisons des riches comme les maisons des pauvres, à savoir, où il y a de l'avenir dans le commerce et où il n'y en a pas. Je suis une grande fille maintenant, je dois prendre mes propres décisions et être responsable de moi-même...

Un pincement au coeur. Toujours. New-York, la maison, les parents, le chat. Toutes ces choses qui semblaient si près mais étaient en fait à l'autre bout du monde. Que penseraient-ils en apprenant ce que je suis devenue ? Seront-ils fâchés, peinés, voir pédants ? Ma tête secoua machinalement de droite à gauche. Non. Ils ne sauront jamais. J'ai disparu. Pour toujours. Et rien ne me fera revenir, même pas les yeux suppliants qu'ils me lanceraient. Je leur ferai honte jusuqu'au bout.

Le plaisir sexuel dure quelques secondes à peine. Des efforts physiques, une préparation lente et délicate, pour quelques secondes seulement. Mais c'est un plaisir gratuit que chacun peut s'offrir. C'est peut-être une des choses qui me pousse à aimer ça. Je n'ai pas à faire semblant d'être quelqu'un d'autre, de me camoufler, une fois nue, car il n'y a pas d'échappatoire, pas de faux-semblants, quand on est en tenue d'Eve. Cette nuit-là a marqué un tournant, c'est évident. Mais il y a une chose que je ne pourrais nier : ce fût sans doute ici qu'une longue histoire douloureuse, sensuelle et meurtrière débuta.

Il y a un étrange rôle de domination/soumission dans ces rapports, voilà ce qui les rend particulièrement excitants. On donne, on reçoit, on échange. Voilà ceux qui avaient tout qui se retrouvent avec rien. C'est amusant, n'est-ce pas, cette notion absolument déplacée d'une chose censée représenter l'Amour et les sentiments ? Alors qu'au fond, elle n'est que débauche et plaisir violent, que chacun se plaît à appeler "petit ami, fiancé, époux". Mais je ne prône pas le libertinage et autres artifices de la vie de petite dévergondée. Je suis paradoxale là-dessus. L'Amour est quelque part, tout près. Il se tapit discrètement derrière un regard, une caresse, vient vous sauver de cette terrible existence qui ne pense qu'à vous baiser jusqu'à extinction de vos paupières. Il est si beau, si pur, si parfait. Mais il n'est pas à Tijuana.

Il est parfois à New-York, à Paris, à la bibliothèque ou au coin de la 3ème avenue. Mais il n'est pas ici. Il n'y a, à Tijuana, que des pauvres petites âmes blessées qui espèrent s'en sortir en brisant les autres, car elles ne connaissent rien de mieux que leur patelin malheureux et sans vie. Ils se pensent supérieurs aux américains, aux français, aux russes, et clament haut et fort de manière hautaine qu'ils surpassent tout, mais en rentrant le soir, chez eux, au fond de leur lit, ou contre le banc sur lequel ils dorment, ils pleurent, ils se déchirents, ils se torturent, devant ce complexe d'infériorité latent qui les ronges. Pauvres petites choses. Ce sont sans doute les proies les plus faciles ici. Elles se laissent faire facilement, malgré leur pseudo-violence sans aucun intérêt à visée d'intimidation aussi ridicule que vaine.