▻ Manies et habitudes
Tu sais cher journal, je n’ai pas l’habitude d’écrire. Disons que ça me libère un peu. Je vais pouvoir te raconter un peu qui je suis et ce que je fais. D’ailleurs, tu me vois là, en train d’enrouler une mèche de cheveux autour de mon doigt tout en me mordillant la lèvre. Je suis nerveuse. Je ne connais rien de cette ville, elle est trop grande pour moi. Je suis dans une chambre de bonne et les toilettes sont dans le couloir. J’entends les voisins baiser à côté alors je me mets de la musique dans les oreilles, ça m’enferme dans ma bulle. J’aime ça. Mais sinon, j’adore danser, je m’évade dans un autre monde. Dans un milieu qui ne demande que de la rigueur, chose que je n’ai su faire que là même si j’avais des bonnes notes à l’école. Sinon, quand je vais au starbuck, je prends toujours un macchiato caramel. C’est sucré et absolument divin. Je raffole de tout ce qui est sucreries et pâtisseries. C’est mon pêché mignon et, en plus, je ne prends pas un seul gramme. Merci mon sport !
Que te dire d’autre ? Je suis une rêveuse. Mon souhait le plus cher serait de devenir célèbre avec mon futur partenaire – que je n’ai toujours pas trouvé – et de gagner des milles et des cents. Je me lève le matin qu’avec une bonne dose de musique qui ne me quitte jamais par la suite. Je me lave plus de trois fois les dents par jours car j’ai horreur de la mauvaise haleine. Je déteste courir après mon bus même si ça m’arrive souvent car je suis une grosse fainéante quand il s’agit de bouger de chez moi. Et je vais te confier un secret. Je joue la dure devant les gens. Mais, au fond, je peux être très sensible mais pour cela, il faut vraiment bien me connaître. J’aime les films à l’eau de rose où l’histoire se finit bien. Je craque devant un chaton ou un chiot et, par-dessus tout, je rêve encore au prince charmant. Le Père Noël ? Non, il ne faut quand même pas exagérer !


▻ Votre dépendance
Il y a peu, je suis arrivée à Tijuana. Pour venir jusqu’ici, j’ai été obligée de travailler et le seul métier qui recrutait, c’était le milieu de la drogue. J’ai commencé en tant que guetteuse puis on me faisait confiance pour faire voyager la cam d’un dealer à l’autre. C’est ainsi que je me suis mise à avoir de l’argent et, six mois plus tard, me retrouver au Mexique. Là, tout s’est intensifié. J’ai dansé dans un bar pour me payer la chambre de bonne et j’ai consommé pour m’évader de ce taudis où toute vie privée n’existe pas. Depuis, je me bats pour avoir cette merde car oui, j’en suis accro. Je me sens libre et heureuse. Je n’hésite pas à donner mon corps en échange d’un peu de coc’. Ça marche comme cela et tant pis pour mon jeune âge. De toute façon, qui crois encore au monde des Bisounours hein ? J’aimerais bien arrêter un jour pour vivre une vie normale et pouvoir réussir comme il se doit dans la danse mais là, c’est hors de question. J’en ai besoin pour ne pas me laisser sombrer dans la déprime.

Toutes les histoires commencent par il était une fois. Cette introduction promet alors une vie semée d’obstacles mais où la fin est idyllique. La femme est heureuse aux côtés d’un mari comblé et de jolies têtes blondes courent autour d’eux, emplissant l’air de rires angéliques. STOP ! Ma vie n’est pas comme ça et ne le sera plus jamais J’ai tout quitter pour LA retrouver, celle qui m’a mise au monde. Mais en la cherchant, je me suis perdue en chemin dans les méandres de cette foutue ville qui m’a englobé dans son ensemble et ne veut pas me laisser ressortir. Qui suis-je ? Je ne le sais pas …

Jefferson, nous devons lui parler.
Tu sais très bien ce que cela donnera Evelyn !
Mais on ne peut pas la laisser dans l’ignorance …
J’en avais assez entendu pour savoir qu’ils parlaient de moi. Ils me cachaient quelque chose et rester dans l’ignorance ne me contentait pas. Doucement, j’ai ouvert la porte du salon d’une blancheur immaculée. C’était trop propre, trop blanc, trop … Tout. Ce luxe ne me correspondait pas. Je rêvais de projecteurs, de corps luisants sous la chaleur et de rapprochements osés et acclamés. De cette danse qui me faisait chavirer et m’ensorcelait à chaque pas que je faisais. La danse latine, la danse du Mexique, celle qui est si controversée dans le film Dirty Dancing 2. Oui, je voulais vivre ça, vivre de ma passion, vivre sans argent mais avec de la gloire. Exquise contradiction qui m’enivre et me délivre. Alors j’avançais vers eux de ma grâce féline, eux qui continuaient à parler sans m’entendre arriver. Je voulais leur faire peur, les affoler comme ils affolent mon cœur en ce moment même. Ses battements résonnent dans mes oreilles alors que le sang expulsé bat beaucoup trop fort à mes tempes. J’ai peur. Oui, ça m’arrive.
Mes jambes tremblent mais je ne fais aucun bruit. Ma respiration est saccadées mais discrète. Ils sont là, juste devant moi, me tournant le dos. La télé éclaire leur visage d’ombres fantomatiques. Je suis à contre-jour, j’ai tous les avantages.
Qu’est-ce que je devrais savoir ? Mon ton est froid et sec. Ils se retournent en sursautant. Un vil sourire étire mes lèvres. J’ai réussi à les surprendre. Il ne faut pas me sous-estimer. Je suis bien plus maligne qu’ils le pensent.
Louane, depuis … La question n’était pas encore sortie de la bouche de ma mère que je levais la main pour lui intimer le silence. J’avais tous les droits, j’étais celle qu’ils allaient blesser à coups sûrs. J’ai plongé mes yeux dans les siens, habités de peur. Peur de quoi ?
Depuis le début. J’ai tout entendu. Mais je mentais. Je ne savais pas ce qu’ils me cachaient, de quoi ils avaient parlé avant. Ce n’était qu’un pur concours de circonstances. J’étais juste descendue me chercher à boire avant d’aller dormir.
Assieds-toi ma chérie. La voix de mon père est douce et trop calme. J’obéis à son injonction, mes mains se crispant sur les accoudoirs du fauteuil mais mon visage reste impassible. J’attends mais pas trop longtemps quand même. Ma patience à des limites. Heureusement, ils coupent vite fin à mes tergiversions.
Nous sommes désolés, nous voulions tellement un enfant et tu étais là. Cette femme ne te méritait pas. Puis la somme a servis pour tous les bébés abandonnés. Tu étais tellement …
Vous m’avez achetée ?! C’est un cri, une déchirure de mon cœur qui se répand dans tout mon corps. Je sens les larmes couler sur mes joues mais je n’ai qu’une seule envie, me barrer d’ici. Cela fait seize ans que j’ai vécu dans l’ignorance, que j’ai tout fait pour les contenter et voilà comment l’on me remercie ! Furieuse, je me lève et m’enfuie en courant dans ma chambre jeter pêle-mêle des affaires dans un sac qui traîne. Mes parents montent mais je les ignore et continue mon chemin, envoyant un texto à Alicia, ma meilleure amie. Ma nouvelle vie, dorénavant, se fera chez elle.

Tu es sûre Lou ?
Oui, ma puce. Je dois la trouver. Je serre fortement ma meilleure amie dans mes bras. Après plus de six mois de recherches, je sais par où commencer mon enquête. Tu vas me manquer ma biche. Et je le pense. Je vais commencer une nouvelle vie là-bas. Je vivrais de la danse. J’ai réussi jusqu’ici en vendant, en plus, de la drogue à des dealers. Je sais que je m’en sortirais. Que je vais grandir plus vite que prévu mais je veux la retrouver. Pourquoi m’a-t-elle abandonnée à ces gens-là ?