Cher Ryan,

C’est dur à expliquer. Je ne sais pas encore où je m’en vais, ni où je suis présentement. Le néant est mon premier ami, et le destin ne semble pas connaître son chemin dans ma vie sinueuse. Maddy m’a appelé. Elle veut que je parte avec elle. Je ne sais pas trop quoi penser. Peut-être parce que j’ai peur, ou peut-être aussi parce que j’en ai trop envie. Ou est-ce l’envie d’être avec elle qui me pousse à vouloir dire oui, aussi rapidement, sans réfléchir. Elle doit retrouver sa sœur, c’est ce qu’elle m’a dit. Après avoir raccroché, j’ai tout d’abord frappé dans un mur. J’ai d’ailleurs encore un peu mal aux jointures. Mais ça, c’est dans mon habitude, ne t’inquiète pas. J’ai les jointures tapissées de fleuves ensanglantés, à force de cogner. Mais bon, j’étais furax contre moi-même car je n’ai pas eu le courage d’accepter sa proposition d’un coup. Et que je l’ai senti partir, s’éloigner, la rage au ventre. Et ça, ça me tue. Tu sais, Maddy, elle m’a toujours fait cet effet là. Depuis qu’on est haut comme trois pommes. Depuis que je peux ouvrir mes yeux et l’apercevoir. Tu te souviens, le soir de mes 9 ans? Tu t’en souviens Ryan, dis?

Papa était allé chercher un gâteau au marché du coin, car maman n’avait pas eu le temps ni l’envie de m’en cuisiner un. Il m’avait demandé si je voulais un gâteau au chocolat. « Non papa, je déteste le chocolat. » Trente minutes plus tard, il revenait, un gâteau au chocolat sous le bras. C’est comme si mes mots étaient des post-it dans sa tête qui ne tenait pas. Des post-it sans colle qui ne cesse d’aller rejoindre le plancher. J’ai pleuré, et tu étais là Ryan, je m’en souviens. J’ai pleuré parce que, encore une fois, papa ne m’avait pas écouté. Et tu te souviens ce que papa a fait ce soir-là? Tu te souviens hen? Il a pris la cuillère en bois de la cuisinière. Il s’est assuré que je ne bouge pas. Il m’a empoigné violemment par le bras, et il m’a donné UN coup. DEUX coups. TROIS coups. Et puis, finalement, MORSURE. Je l’ai mordu à pleine dent. J’avais encore ses poils de bras sur ma langue quand je suis parti, dû à la vigueur de la croqué. Je me suis enfuie dehors, ne regardant jamais derrière moi. Je t’ai abandonné Ryan, je m’excuse. Et c’est toi que papa à frapper. C’est toi que j’ai entendu crier. Car toi, il ne t’a pas donné trois coups. Non toi il t’en a donné mille. Tes cris résonnent encore dans ma tête.

J’ai couru, comme une gazelle court lorsqu’elle est poursuivit par un lion. Une course qui me sembla interminable. J’ai atterrit au parc, là où je l’ai vu. Maddy était là, elle se balançait. Je suis allé la rejoindre, le souffle le court, les yeux humides. Et je lui racontai. Une fois de plus, elle m’écouta sans rien dire, fixant mes yeux débordant d’émotions. Elle semblait attendre ma venue. Comme si elle savait que j’aboutirais ici, et qu’elle pourrait me recueillir. Maddy, c’est mon autre. Une partie de mon âme qui s’est autrefois évaporé de moi, et qui s’est retrouvé dans le corps d’une petite fille blonde. C’est difficile à expliquer, mais tout ce que je sais, c’est que le sentiment que j’avais ce jour-là, lors de mes 9 ans, est le même que j’ai ressenti quelques heures plus tôt, quand elle m’a demandé de l’accompagner à Tijuana. Nous sommes complémentaires, nous sommes une seule et même personne divisé en deux. Et non, l’amour n’a rien à voir là dedans. C’est plus complexe que ça, beaucoup plus.

Mais ce que je me souviens le plus, ce jour-là, c’est que l’étreinte de Maddy était particulière, encore plus pleine. Comme si elle me consolait de quelque chose de plus, de quelque chose qui m’était encore inconnu. Je la regardai, regard plein d’incompréhension. Nous rentrâmes à la maison, sans prononcé un seul mot. Les paroles étaient inutiles, superficielles à ce moment-là. Maddy me traîna derrière la maison. Ce que je vis, me troua le cœur. Tu étais là, Ryan, pendu à l’arbre. Mon seul frère, mon seul et unique frère. Tu avais 13 ans. Encore meurtri des coups de papa, tu es sorti, et tu t’es pendu. Certains disent que le suicide est une sorte de lâcheté. Moi je crois que c’est du courage. Tu as eu l’audace et le courage de quitter cette vie qui te faisait souffrir Ryan. Tu as trouvé ton moyen d’évasion. Ce jour-là Ryan, je n’ai pas essayé de te sauver. Car je ne voulais pas briser ce moment qui semblait être le plus beau de ta vie. Pour la première fois, ce n’était pas de la tristesse ou de la peur qu’il y avait sur ton visage Ryan, c’était de la liberté. Et Maddy, à mes côtés, me serrait la main. Je croyais qu’elle allait me la casser, tellement elle me la serrait fort. Elle savait ce que je ressentais à l’intérieur. Car elle sait tout, tout de moi.

C’est officiel, je pars demain à Tijuana. Je fais comme toi, je quitte. Pas de la même manière, peut-être pas aussi courageusement, mais au moins, je quitte. Je pars à la recherche de ma liberté. Celle qu’on n’a jamais trouvée dans notre jeunesse Ryan. Jamais. Je pars avec Maddy, car elle est ma seule et unique famille. Nous sommes des amants, des amis, des ennemis, tout à la fois. Je l’aime, et je la déteste.

Et je t’aime aussi.
Mais je te déteste d’être parti si vite.

Ton frère
Dylan